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Les voyages du bagel : entre légende et histoire

 

Quand on observe la file ininterrompue dans le restaurant Bagelstein , à Toulouse, rue des Filatiers, peut-on imaginer les déambulations de cette brioche-pain, trouée, dorée, couverte de sésame, pavot, fourrée d’une grande variété d’ingrédients ? Le bagel va-t-il détrôner le hamburger ? Dans tous les cas, sa légèreté, sa diversité et sa fraicheur - il est cuit chaque jour - attirent de plus en plus une population jeune, avide de nouveautés et « casual ».

Le bagel, l’histoire et la légende

Il est utile de se promener dans le passé pour comprendre l’origine de ce pain sucré, salé consommé à New York City dans le quartier refuge des migrants juifs du Lower East Side au XIXe siècle et de l’East End de Londres. Il se répand au Canada dès 1888. A Montréal, dans le quartier de Fairmount, quartier juif orthodoxe de la ville, Isidore Schlafer ouvre une échoppe-boulangerie en1919. L’étroite boutique actuellement accessible nuit et jour nous laisse perplexe tant le choix des bagels est grand.

Italien, Chinois, Allemand, Polonais

 

Ce petit pain rond troué possède plusieurs origines. On le rencontre dans les pays où l’on cultive le blé.

Dans le Sud de la péninsule italienne, le pays des Pouilles, il est composé de farine de blé, de sel, de sucre et de graines d’anis. Il est d’abord bouilli, puis cuit au four. C’est le Tarallo. Viendrait-il de la conquête des Pouilles au XVe siècle par les Espagnols et la fuite des Judios durant l’Inquisition ?
Dans les couvents toscans il est appelé Ciambella et Brazatelle (bracelet). Dans les cours nobles de Ferrare et de Padoue il est composé à l’eau de rose, de lait, de sucre, de beurre et d’œufs d’après les recettes de la Renaissance. A l’époque moderne, les vendeurs de ciambella colportaient leurs pains empilés dans des paniers, percés d’une pique comme le faisaient les colporteurs polonais.

En Europe centrale, il semble que des artisans des villes allemandes soient venus dès le XIIIe siècle dans la ville royale de Cracovie pour y fabriquer bretzels et bagels. Le bagel, du yiddish, beigen (se courber), s’appelle en Pologne obwarzanek. Il est mentionné en 1610 dans une loi somptuaire visant à restreindre les dépenses lors des festivités religieuses. Celle-ci précise à quel moment le pain blanc et l’obwarzanek doivent être consommés et par qui. Maria Balinska relate que la Guilde des boulangers de Cracovie avait décrété officiellement qu’il doit l’être pour le Carême, et être confectionné par des membres de la Guilde. Donc, avant d’être un pain populaire, apprécié par les amateurs de plaisanterie et les enfants, il est un pain précieux, objet de respect. Les boulangers juifs sont exclus de sa fabrication. Mais rapidement, les Juifs trouvèrent une solution pour travailler ce pain en le faisant bouillir et simplement grillé. Le XVIe siècle et la moitié du XVIIe siècle constituent une période de prospérité pour la communauté juive en Pologne, notamment avec le prince Jan Sobieski, Les Juifs possèdent le droit de commercer dans certaines villes, « eux qui sont si talentueux pour le négoce. » Sobieski protège les commerçants et artisans juifs contre l’émeute antijuive de 1682. Il est aussi le héros de la bataille de Vienne qui repoussa les Turcs, un an plus tard, en 1683. Mais il ne reçoit pas de bagels en forme d’étrier pour sa victoire contrairement à la légende populaire.

Notre pain voyage aussi sur la route de la soie. Il est fabriqué de nos jours chez les Ouigours musulmans dans le Nord-Ouest de la Chine où il est appelé Girde (Гирд , se prononce guirdé).

Le bagel accompagne les rituels

Ainsi la possibilité pour les communautés juives polonaises de fabriquer le bagel ne se fit-elle pas sans obstacles. Une fois ce droit octroyé, le bagel fut très populaire dans le monde des shtetl. Il est acheté aux boulangers et diffusé par des colporteurs. Il sert d’amulette et de protection des femmes enceintes. Il est consommé lors des circoncisions. Sa forme ronde représente, en effet, le cycle éternel de la vie. Au XIXe siècle, il est associé aux rituels funéraires. Il est mangé juste avant le jeûne de de Ticha beav, le neuvième mois du calendrier juif pour commémorer la destruction du Temple de Jérusalem. Ainsi le bagel est-il partie intégrante de la culture juive et ponctue les cérémonies religieuses.

Aussi n’est- il pas surprenant qu’il accompagne les populations juives de Lituanie et de Pologne lors de leurs migrations au XIXe siècle aux Amériques. Plus récemment, il revient se réimplanter en Europe.

Alors un nouveau cycle de vie du bagel se met en place, passionnant à observer. En effet, il s’est largement laïcisé et a perdu sa portée symbolique. Il est partie prenante de la nourriture du midi, facile à fabriquer, facile à manger, facile à digérer, facile à emporter, à en croire la queue de la population branchée des villes devant les bagel shops. Comme du bon pain, il est fabriqué au quotidien et comporte toutes sortes de variantes au gré de nos envies. Nourriture traditionnelle, longtemps appropriée par l’Europe de l’Est, il devient marqueur de modernité, de la distinction branchée, préféré bien souvent au hamburger pour sa fraicheur et sa saveur.

Bibliographie :

Sur le net, notamment: